Saturday, 10 July 2021

remarques sur Soumission Houellebecq


Quelques éléments de réflection au sujet de “Soumission”



Evacuons de suite l'intro : si vous lisez cet essai, c'est que vous savez sans doute de quoi parle le livre et l'avez sans doute lu. Vous connaissez sans doute aussi le sacré personnage qu'est Houellebecq. Je révèle de suite : j'adore Houellebecq; je considère qu'il est un écrivain important pour notre “époque” (disons, le début du XXIe siècle en France) en ce qu'il met à jour, dépeint et articule beaucoup de ses courants sous-jacents.


Parlons maintenant de “Soumission”. Je ne prétends pas en proposer une vue particulièrement brillante ou originale, je veux juste exposer quelques objections qui me sont venues à l'esprit – surtout en ce qui concerne (on va dire) le dernier tiers du roman.


Tout d'abord, la plupart, sinon tous, des romans de Hllb partent du même principe (the same premise) : le narrateur / la France / le monde occidental a connu son apogée et, à cause de cette satanée gauche et du libéralisme triomphant, ne lui reste plus à venir que la décadence dont il prend conscience par son corps (souvent via des problèmes de santé), sa vie sexuelle, sa conscience. Défaitisme, nihilisme, désillusions constituent sa raison d'être (en anglais) et son fond de commerce.


Et c'est justement là la faille de départ. Autant je suis d'accord avec lui sur certains points précis (il fait feu de références avec des marques de produits et des noms réels), autant -si j'y réfléchis- on peut considérer qu'il saborde ainsi ses explorations. Il est de mauvaise foi; il procède d'un parti pris (a fait accompli en anglais). Si ses protagonistes (dans le cas précis François -François / Français... get it?????-) se coupent dès le début de l'histoire des autres -que ce soit d'amis potentiels, de leur famille, ou de la “société” au sens large- ils ne peuvent guère ensuite se plaindre de leur solitude.


Et justement, l'un des points majeurs de l'islam que Hllb ne mentionne qu'une seule fois très brièvement, est qu'il offre un principe de fraternité entre ses adeptes (qui n'a pas entendu des jeunes musulmans s'appeler 'frère” ?). Il y avait là quelque chose à creuser, qui répondrait à l'attente de François. François n'envisagera sa conversion qu'en termes d'avantages quotidiens précis (plus particulièrement avoir une petite minette et une cuisinère à disposition) mais ne la met pas en relation avec sa quête de religion (entendue dans le sens étymologique de “religare” = relier). Il est étrange que Hllb n'entrevoie la perspective de faire partie d'une communauté qu'en référence au christianisme (François va y réfléchir dans le couvent de Huysmans) ...mais pas en référence à l'islam.

En d'autres termes, la conversion de François est prosaïque, intéressée –et pourquoi pas, dans le cadre dit “diégiétique” de l'histoire !- mais n'est pas mise en rapport avec la pratique islamique qui est tout de même le sujet du roman. Bizarre.



Autre problème.

Le roman commence tellement bien... Il est brillant quant à sa présentation du sujet principal (the plot) : Hllb imagine finement comment et pourquoi un parti islamique pourrait remporter l'élection présidentielle française; puis il ne se concentre plus que sur l'histoire de son protagoniste. Son panorama finement tissé géo-politique disparait.


Quid du Fr*nt National ? (Qui, après tout, était à 50/50 avec le candidat musulman !) On n'en parle plus. Quid de l'opposition politique ? Il ne la mentionne que sur cinq lignes. Quid des affrontements violents (mentionnés au début du livre, n'oublions pas) ? On n'en parle plus. Quid des conséquences légales avec le reste de l'Union Européenne (contre qui Hllb a une dent) ? On n'en parle pas. Quid du fonctionnement du gouvernement une fois installé ? On en parle à peine. Quid des autres personnages (le prof penseur d'extrême-droite -arrêtons avec ces néologismes débiles médiatiques tels que “identitaire”- et le spécialiste du renseignement) ? On n'en parle plus, ils ont disparu. Il aurait été justement fascinant de savoir ce qu'il advient du premier. Ca aurait équilibré le propos, donné un autre point de vue, et apporté la contradiction au va bene accordé au nouveau régime.


Et quid des femmes ? Je reviendrai sur ce sujet.


Avec ces passages à la trappe, il me semble que Hllb gâche son excellent travail. Son projet perd en complexité, en profondeur. Il ne s'intéresse plus qu'à son personnage. A ce propos, il ne me semble pas exagéré de voir en ce choix -ou focus, pour parler en charabia universitaire actuel- une possible mise en valeur de ce personnage tenant presque de l'identification : François pourrait être vu comme le représentant d'une certain groupe social français (bourgeois, intellectuel, blanc, la quarantaine sinon plus, parisien) et -osons le dire puisque vous y pensez certainement déjà- comme l'alter ego de Hllb en personne. L'auteur a évidemment le droit de poser son protagoniste ainsi – mais il perd de ce fait de sa vision générale (les autres personnages, les autres parties de la société).


Ce qui nous amène à l'un des traits de l'oeuvre houellebecquienne. La plupart sinon tous ces livres sont basés sur un personnage principal (bourgeois, intellectuel, blanc, la quarantaine sinon plus) dont on suit le point de vue et les péripéties via sa voix intérieure (narration subjective). Je sais, si je me rappelle bien, “les particules élémentaires” offrait plusieurs protagonistes avec une narration à la troisième personne mais, la plupart du temps, Hllb opère grâce au sortilège (trickery) de la narration subjective. Celle-ci emprisonne le lecteur, identifie l'histoire au narrateur (ou vice versa), privilégie un point de vue particulier, et exclut de fait les autres perspectives. Cette technique est efficace. Elle fonctionne souvent très bien et je n'en fais pas une critique.

Le problème -me semble-t-il- pointe le nez quand Hllb décolle des histoires romanesques pour l'appliquer à un véritable sujet de société qui dépasse le cadre des péripéties / du seul point de vue d'un personnage.


Dans un sens, le fait qu'il se soit donné la peine de tisser un compte-rendu socio-politique réaliste, réfléchi, avec des points de vue et personnages différents lors de la première moitié de son livre pour ensuite les abandonner témoigne d'une certaine confusion dans son entreprise, d'un manque de constance, voire d'une certaine roublardise intellectuelle (you can't have it both ways).

Hllb est assez intelligent pour se douter que publier un roman de politique-fiction sur le thème de l'avènement de l'islam en France ne pourra pas être pris à la légère. Et de fait, il prend bien soin d'avancer ses pions en offrant des explications tout à fait crédibles; malheureusement il écarte ensuite toutes ses contextualisations pour ne plus jouer que de la corde du héros malmené. Ce faisant, il perd en crébilité. Il se doute bien que les polémistes de tout bord l'attendent au tournant ...mais il abandonne en chemin son brillant travail d'argumentation et “Soumission” devient un nouveau chapitre dans son oeuvre romanesque. Le livre offre soudain le flanc aux attaques polémiques.



Bref autre point qui vaut ce qu'il vaut : j'ai eu l'impression tout au long de la lecture que Hllb devient de moins en moins drôle. Là aussi, “Soumission” commençait assez bien : cette fois, il se payait la tête de Bayrou (après celle de JeanPierrePernaut) et puis … la satire s'estompe, les traits fulgurants se font plus rares. J'ai eu l'impression qu'il était moins mordant que d'habitude. Il ne balance plus autant de ses jugements désopilants (“Tu passes Beethoven en vitesse rapide, c'est du Mozart !”). (Ceci étant dit, à la réflexion, on ne riait guère avec “Plateforme” ou “le Territoire” ou “la possibilité” ou “les Particules”... Soit.)





Passons enfin au cran au-dessus : en quoi “Soumission” a probablement tort - revenons sur le sujet des femmes.


Donc le roman raconte que les femmes disparaissent de la sphère publique / professionnelle pour être reléguées à la cuisine et chambre à coucher. Ma question est : est-ce bien réaliste dans le cadre de la France (membre de l'Union Européenne, on le rappelle encore) en 2022 ? Problème de verisimilitude. On en revient à mes objections précédentes : Hllb évacue en chemin le contexte, la réalité géo-politique. En fait allons plus loin, imaginons même que la mise au placard des femmes françaises se réalise dans le cadre de la fable racontée : quelqu'un imagine-t-il / elle (hi hi) sérieusement que la soumission des femmes -on rappelle que, comme pour le score du FN (mais cette fois de la population), sa grandeur se situe à hauteur de 50% tout de même !- se produirait instantanément et sans résistance ?? … Clairement, l'auteur n'est pas crédible.


Autre sujet qui fâche : la présentation des femmes par Hllb comme unique objet sexuel (voir ses autres livres). On revient encore à mes remarques sur son choix de point de vue unique : il est pratique (convenient) pour l'auteur d'argumenter que cette perspective ne représente que celle du personnage principal, mais.... c'est un peu facile. On appréciera le fait que le seul personnage féminin crédité d'intelligence dans le roman (l'universitaire mariée au chef des renseignements) est lourdement présentée comme étant physiquement hideuse. Curieux hasard. D'autant plus que le principal -et seul ?- attrait de Myriam est sa disponibilité sexuelle.

Suivant ce système de valeurs (et hop ! Un autre rappel de mes remarques plus haut !), il est alors logique que le protagoniste se sente seul ...quand il se coupe d'une trentaine de millions de possibles partenaires de discussions. Il est un intellectuel et se comporte comme une brute; son parcours est donc voué à l'échec. L'édifice bâti par Hllb est un chateau de sable, un faux dilemme basé sur du sexisme réducteur et auto-apitoyé.




A développer.





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