Jean-Jean brancha le poste juste au moment ou Jeuhnny attaquait son dernier hitt: "Queu j'eu t'aimeuh". A vrai dire, Jean-Jean n'avait jamais eu loisir d'apprecier le tube de Jeuhnny a sa juste valeur; l'opportunite de le savourer pleinement lui etait offerte par la providence, qui lui tendait les bras.
Les orgues se dechainerent, puis les guitares s'y mirent. La batterie tapait lourd (a moins que ce ne fut la basse) et quelque chose plana dans l'air, qui rendit l'atmosphere franchement dramatique. Jeuhnny fit une tete, puis declama les vers suivants :
"Queu jeu t'aimeuh, oh queu jeu t'aimeuh / Queu jeu t'aimeuh, queu jeu t'aimeuh".
Le jean's en patte d'eph' de Jeuhnny etait brode de fines etoiles scintillant sous les projecteurs du studio. Son jaune vif Pastis 51 s'accordait avec merveille au debardeur vert pale qui mettait en valeur les bracelets en cuir lui enserrant les poignets, c'etait feerique. Viril comme pas un, Jeuhnny completait enfin sa tenue de tombeur des dancingues par un foulard rouge sang-de-boeuf negligeamment noue autour de ses epaules musclees. La sueur perlait sur son mufle et collait ses meches a son front empourpre par la passion de sa chanson. Soit ca, soit il etait constipe.
"Queu jeu taimeuh" repeta Jeuhnny, petrifie d'intensite et bouleversitude.
La ritournelle entrainante arriva malheureusement a son terme et Guy Lux fit son apparition dans son smeuking creme caramel (costume de Donald Cardwell, decor de Roger Hart). L'animateur cligna des yeux en direction de la camera.
"... Jeuhnny !" lanca-t-il enfin a l'audience invisible apres avoir consulte sa petite fiche. Ladite audience se repandit en applaudissements et Jeuhnny accepta les vivats d'un mouvement modeste. (Il voulait surtout eviter de ruisseler et faire des taches a son beau patalon. Heureusement que la champouineuse l'avait asperge de sent-bon avant son passage a l'antenne.)
Jean-Jean s'en voulut a mort d'avoir rate le debut de l'emission car Jeuhnny s'esquivait deja. "Merci, merci tout l'monde."
Guy Lux se tenait le long d'une piscine verte schwingum Hollywood entoure de deux minettes en costume de bain dont le minimalisme radical ne laissait presager rien de bon quant a leurs chances de rentrer chez elles plus tard avec leur maquillage toujours en place. Qui allait leur passer dessus: le presentateur, la vedette, l'agent du premier ou du second, le chef-machino ? Les paris etaient ouverts. (Probablement pas le chef-machino a la reflection.)
Le sympathique animateur consulta ses petites fiches a la recherche de l'artiste suivant : "Et maintenant qui avons-nous... ?" Jean-Jean ne savait pas, il attendit qu'on lui dise. Les deux heureuses elues des faveurs du presentateur arboraient un sourire presque taquin, flanquees de chaque cote d'icelui. Il faut dire que des aureoles de transpiration se profilaient deja sur le beau costume du maitre de ceremonie, comme quoi se balader en maillot de bain n'etait peut-etre pas si cretin...
Dick Riveurs en personne entra alors dans le champ de la camera, ni une ni deux, soigneusement degingande dans son smeuking blanc ouvert jusqu'au nombril -avec une lourde croix en argent pour preserver la decence de son thorax nonobstant.
"Ah oui, Dick Riveurs !" lanca Guy Lux triomphalement. (Il venait de retrouver sa fiche.) L'audience s'explosa en applaudissement bien nourris.
"Mais dis-moi, Dick... qu'est-ce que j'apprends ? Alors comme ca tu as un nouvel album ?" lut Guy Lux.
"Oui Guy, et il-vient-de-sortir, il sera dans les bacs le 3 de ce mois" repondit Dick Riveurs autour de sa clope plantee dans la bouche. (Quel bad beuy il faisait !)
"Mais c'est formidable ca ! Et comment s'appelle-t-il ?" lut encore la personnalite preferee des Francais d'un ton enjoue.
"Il s'appelle ReucknReull is zeu King" repondit Dick Riveurs et il manqua incinerer la moumoutte de son interlocuteur en echappant sa cigarette plein sur le crane juste au-dessous. Heureusement que Guy Lux ne s'apercut de rien, et il continua a l'interviouwer sur le meme ton badin qui lui valait les honneurs du public depuis si longtemps.
"ReucknReull is Feucking ? Mais c'est magnifique ! Et dis-moi Dick, ou l'as-tu enregistre ? Ou l'as-tu enregistre, hein ?"
Ingenieux, Dick Riveurs avait profite de la replique de Guy Lux pour reprendre sa cigarette et se la replanter dans la bouche. Un bref moment desarconne, il avait vite repris le dessus pour redevenir le rebelle sans compromission qui faisait battre le coeur des filles de ferme dans leurs culottes en coton et bottes en caoutchouc. Ceci etant dit, la cigarette lui posait neanmoins quelques problemes pour articuler sa reponse, notamment au niveau des plosives.
"Eh bien j'eu lai enwegistwe a Nashville-Tennessee, Guy. Au (p)ays du King, Elvis P(w)esley !"
"Elvis Pwesley, mesdames et messieurs !!" repeta Guy Lux ravi, et l'audience pas reveche se fendit d'une autre salve d'applaudissements, c'etait beau comme du Michel Drucker.
Puis -que se passa-t-il donc ?- l'une des deux beunny-girl's en maillot de bain revint avec un plateau de boissons couronne d'un magnifique ananas tronconne en deux.
Elle le tendit -le plateau, pas l'ananas- a Dick Riveurs pour qu'il se servisse. Le mouvement la forca a se pencher en avant et la camera n'eut d'autre choix que de faire un gros plan. La taille de Guy Lux le positionnant a hauteur du buste feminin, le sympathique animateur donna soudain l'impression de se rendre compte de la perspective offerte a ses yeux. Il cligna de l'oeil en direction de la camera qui -par un heureux hasard- le cadrait bien au centre a cote de la paire de nibards, puis remonta vers lui son micro rectangulaire pour surement s'appreter a offrir une de ses reparties dont lui seul avait le secret. Guy Lux s'humecta les levres nerveusement.
"Eh bien les enfants" lanca-t-il a la cantonnee "...le fond de l'air est chaud !"
Les enfants en question manquerent faire sur eux a cette boutade dont personne d'autre que le grand maitre d'oeuvre de la variete francaise n'eut ete capable -Sacre Guy Lux ! C'etait bien simple, on se serait cru chez Patrick Sebastien (le bon gout en plus evidemment).
La jeune fille se releva enfin de sa pose inconfortable, un sourire des plus naturels aux levres. Dick Riveurs trempa les siennes dans le verre qui lui avait ete offert et ne put reprimer une grimace. Puis l'intrepide reuckeur avala d'un trait.
Apparut soudain Ringo. Ringo ! L'idole des foules !?!
Le sourire de Guy Lux lui monta jusqu'aux oreilles. "Ringo ! En voila une bonne surprise !" La foule s'esclaffa a ce nouveau trait d'humour.
"Bonsoir, Guy" repondit Ringo du tac au tac. Il etait comme ca Ringo : simple et sans pretention. Il fit la bise a Guy Lux. Puis le crooneur des discotheques se tourna vers Dick Riveurs.
"Salut Dick, j'apprends que tu sors un nouvel album ?"
"Oui Ringo, j'en-sors-un-nouveau" confirma Dick Riveurs.
"Ca te dirait qu'on fasse un duo ?"
Dick Riveurs n'eut pas le temps de considerer la proposition que Guy Lux ejacula
"Ca alors ! Un duo de Ringo et Dick ! Qu'en pensez-vous mes enfants ?" (s'adressant aux spectateurs hors-cadre) "Mais c'est formidable !"
Jean-Jean sursauta a la perspective d'un tel evenement et chercha desesperement la telecommande pour regler le son. Puis il se rappela qu'elles n'existaient pas encore dans ce temps-la. Fatalitas ! Il dut se resoudre a se lever et faire les cinq pas pour couper le son manuellement.
Entre-temp, Ringo et Dick Riveurs avaient pris position.
Le symbole-sexe a droite, le grand corbeau a gauche -on reconnaissait bien ici la patte des productions Carpentier, leur sceau de qualite. L'un en blanc, l'autre en noir. Les deux terreurs des hitt-parades entamerent leur duo. Ils y mirent du leur, a grands coups d'expressions peinees et sourcils douloureux, faisant bien attention a ne pas se toucher ni a echanger plus de coups d'oeil que ceux absolument necessaires -Ils n'allaient quand meme pas passer pour une bande de tarlouses.
Ringo et Dick Riveurs firent alors quelques pas de concert vers le palmier en pot et, l'espace d'un instant, Jean-Jean crut qu'ils allaient jouer a se poursuivre autour ("Nique nique, c'est toi la bique / Si je t'attrape, je te frappe"). Il n'en fut rien. Ringo s'appuya en fait mollement contre le tronc caoutchouteux et celui-ci commenca a glisser sur le carrelage. Ringo se redressa aussitot. Les rouflaquettes entourant son visage impavide d'etalon ibere vaguement neurasthenique battaient la mesure au rhythme de ses talonnettes, celles de Dick Riveurs etaient moins reussies.
Jean-Jean remit le son, curieux.
Ringo etait en train de se vider les tripes dans un acces de tourment emotionnel magnifique et Dick Riveurs le lui rendait bien :
"Jeu t'aimeu oh oui jeu t'aimeu
-Jeu t'aimeussi oh oui
Mais non jeu t'aimeu, c'est moi qui
-Jeu t'aimeussi. Oh yeah."
Puis la chanson prit fin. Un silence d'une seconde se produisit qui fut heureusement succede par un tonnerre d'applaudissements. Le voltmetre partit dans le rouge et le chat sursauta.
"Ce n'est rien mon gros doudou" le rassura Jean-Jean, "ce n'est que Ringo et Dick Riveurs les celebres idoles des jeunes". Pepere jeta un regard furieux aux humains qui avaient ose interrompre sa sieste et daigna accepter une ou deux caresses -pas plus- avant de repiquer au truc.
A l'ecran, Guy Lux consultait toujours ses fiches.
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